Blog d'Étienne Pourcher
Les forêts françaises couvrent 31% du territoire métropolitain. Elles contribuent de multiples façons au bien-être humain (production de bois, purification de l’air et de l’eau, maintien des sols, habitat pour la biodiversité, alimentation, santé, activités récréatives, etc.) et participent aux Objectifs de Développement Durable fixés par l’ONU. En particulier, la France s’étant engagée à atteindre la neutralité carbone dès 2050, le rôle de puits et de stockage de carbone des forêts est considéré comme un élément majeur de sa Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC).
Depuis quelques années, les forêts françaises, dont la surface n’avait cessé de croître depuis plus d’un siècle, connaissent, de façon inquiétante, une diminution de productivité, des dépérissements massifs et un risque incendie accru. Le changement climatique en cours met ainsi en péril les ressources forestières et leur contribution attendue pour préserver la biodiversité, favoriser le développement rural et la bioéconomie, renforcer la production de bois, assurer le bien-être sociétal et équilibrer le bilan carbone de la France. Les enjeux sont considérables et l’orchestration des mesures à prendre s’avère extrêmement délicate en raison de la diversité des attentes de la société.
L’Académie des sciences dresse ici un état des lieux des connaissances actuelles sur les diverses contributions des forêts à la société, puis identifie les défis à relever au regard des menaces actuelles et à venir. Finalement, elle présente un ensemble de recommandations pour assurer simultanément la résilience des forêts, leur rôle de puits de carbone, la production de bois, la préservation de la biodiversité, et la qualité des autres contributions du milieu forestier au bien-être humain.
Les recherches scientifiques devront porter sur les connaissances nécessaires à la compréhension du bilan carbone des forêts, l’adaptation du milieu forestier au changement climatique et l’efficience d’utilisation du bois. Des modèles capables de simuler l’évolution des forêts en réponse aux perturbations naturelles et anthropiques ainsi que les pratiques sylvicoles doivent être développés. Les données nécessaires à leur validation (composition des peuplements, biomasse aérienne et souterraine, flux de carbone) doivent être acquises et diffusées largement. La prise en compte des facteurs physico-chimiques, biologiques, économiques et sociaux dans l’évaluation des enjeux liés aux forêts nécessite des études interdisciplinaires. Enfin, une méthodologie vérifiable et transparente de calcul des émissions évitées grâce aux usages du bois est nécessaire pour évaluer la contribution des produits bois aux objectifs de la SNBC.
Un effort majeur de gestion forestière est nécessaire pour optimiser à l’échelle nationale l’adaptation des forêts au changement climatique, la production de bois et la préservation de la biodiversité. Ces pratiques doivent être flexibles, évolutives et adaptées au contexte socio-écologique local. Pour gérer les effets du changement climatique par une stratégie sans regrets, la structure des peuplements devra être ajustée en favorisant la sylviculture à couvert continu, en ajustant les densités de peuplement aux conditions hydriques, en augmentant la diversité des essences, en évitant autant que possible les coupes rases dont les impacts écologiques et climatiques sont trop importants, et en conservant des vieux arbres qui sont des refuges pour la biodiversité et représentent un patrimoine génétique à préserver.
Le rôle de la filière bois sera crucial pour la réussite de la transition énergétique. La filière devra optimiser son bilan carbone depuis le prélèvement en forêt jusqu’au recyclage des produits bois et des connexes de scierie. Sa réindustrialisation doit être soutenue afin de permettre la transformation du bois français en France, le développement des produits bois à longue durée de vie, la valorisation des bois de feuillus, et une maîtrise à court terme des volumes de produits à courte durée de vie.
Les politiques publiques devront accompagner la filière forêt-bois de manière cohérente pour assurer le succès de la transition énergétique. La récente diminution du puits net de carbone des forêts appelle à une révision urgente de la SNBC dont les objectifs ne seront pas tenus. D’autres scénarios doivent être évalués sur un temps long et en s’inscrivant dans une approche écosystémique et multifonctionnelle de la forêt. Enfin la gouvernance forestière devra mieux prendre en compte les intérêts et souhaits des différents acteurs.
Comme chaque été, nous avons assisté au retour des incendies de forêts (Grèce, Indonésie…) aussi sûrement qu’au retour des touristes sur les plages ou des melons sur les étals des marchés. Faits nouveaux cette année, la planète a connu des feux en Arctique…De la Sibérie au Canada, des millions d'hectares sont partis en fumée depuis début juin, en raison des températures élevées.
Plus encore, récemment, la planète s’est émue devant les feux en Amazonie, jusqu’à amener le sujet en haut des priorités de discussion du G7 de Biarritz.
Incendies de forêts et dérèglement climatique : pourquoi il est urgent d’agir ?
Le dérèglement climatique entraine ces feux. La sécheresse et la chaleur sont évidemment une des causes de ces incendies ; or, l’été 2019 étant plus sec et plus chaud que les précédents est plus propice aux feux de forêts.
Ces feux accélèrent le changement climatique. Le feu émet du C02 en libérant le carbone contenu dans les arbres : Sur le seul mois de juin, les feux dans l’Arctique ont dégagé 50 mégatonnes de CO2, soit autant que les émissions annuelles de pays comme la Suède ou la Hongrie.
Les forêts brûlées sont autant de puits de carbone en moins, chaque arbre absorbant le CO2 de l’atmosphère pour en relâcher l’oxygène d’où le surnom de « poumon » de la planète.
Pourquoi une telle émotion suscitée par les feux en Amazonie ?
L’Amazonie est un espace forestier important réparti sur 9 pays dont la France (Guyane) et le Brésil (qui en accueille 60% de la surface).L'Amazonie est la deuxième plus grande forêt du monde, derrière la taïga.
Cette vaste surface forestière en fait le poumon du monde par sa capacité à capter et stocker le CO2 à un moment ou notre terre en a le plus besoin.
Mais le rôle des arbres ne s’arrête pas là : ils captent l’eau des sols pour la faire évaporer et entrainer des pluies ; d’où, avec la déforestation amazonienne, des saisons de pluies plus tardives et plus courtes.
Pour autant, l’Amazonie reste l'une des régions les plus humides de la planète, d'où une grande richesse en biodiversité. Cette forêt est, en effet, un formidable réservoir de biodiversité : animaux comme plantes (dont nous avons besoin par ailleurs pour la chimie et la médecine).
Ceci sans compter que l’Amazonie accueille depuis des siècles des populations autochtones qui vivent souvent en symbiose avec la forêt.
Autant dire qu’un feu de forêt fait disparaître l’ensemble de ces bienfaits et ses conséquences ne sont pas seulement locales, même si elles sont terribles pour les indiens : accroissement du dérèglement climatique pour toute la planète, dégradation de l’air et de la santé des espèces (dont l’Homme), perte de diversité irréversible. C’est pourquoi certains parlent des forêts comme de « biens communs » de l’humanité. Il pourrait donc leur être attribué des droits.
Des incendies de cette année en Amazonie inédits par leur ampleur
L’été 2019 connaît une envolée de ces feux en Amazonie et particulièrement au Brésil où vient d’être élu Jair Bolsonaro. : hausse de 84% par rapport à 2018 au Brésil et + 100% dans l’ensemble de l’Amazonie.
Quelle est la cause de cette augmentation inédite dans le nombre d’incendie comme dans leur ampleur ? Le défrichage est souvent mis en cause avec un objectif de production agricole : besoin de terres pour la culture du soja – le Brésil est le 1er exportateur de soja- et besoin de terres pour le pâturages – donc la production de viande bovine pour laquelle le Brésil est également 1er exportateur. Le feu sert à défricher la zone une fois le bois extrait, afin de passer à des fonctions plus lucratives. L’enjeu commercial et financier transparait donc immédiatement.
Il est doublé d’une spéculation foncière parfois animée par des mafias locales. D’où l’usage de la violence (l’appât du gain…), et derrière elle la pauvreté…
L’industrie minière n’est pas en reste qui vise l’exploitation du sous-sol…
Un sujet politique : que faire ?
Jair Bolsonaro, immédiatement élu, a réduit les budgets de l’Ibama, organisme chargé de faire respecter les lois sur l’environnement, ce qui a entraîné une baisse des contrôles, laissant ainsi libre cours aux mécanismes précédemment décris (le défrichement a augmenté de 50% depuis janvier dernier…).
La signature du traité de libre échange entre l’UE et le Mercosur en juin dernier vise à accroître encore les échanges commerciaux donc la production brésilienne de soja et de viande bovine, donc le besoin en espaces fonciers, donc l’accroissement des défrichements… L’annonce par l’Irlande et la France d’un renoncement à ce traité est un premier pas nécessaire. Les autres traités commerciaux internationaux devraient d’ailleurs prendre en compte de façon systématique leur empreinte environnementale. La relecture des traités déjà signés est nécessaire.
Nous devons également être irréprochables… Des défrichements sont accordés en France (Guyane) aussi pour des projets miniers par exemple…
Instituer la forêt en bien commun universel ? c’est une piste juridique à creuser. Dans tous les cas, laisser libre cours aux forces du marché – qui montre là qu’il ne sait pas s’auto-réguler – est impensable. Il faut introduire une régulation permettant à la fois de respecter notre environnement dans le cadre d’un développement économique durable et à la fois de respecter les populations, tant celles qui vivent dans et des forêts que celle des agriculteurs et salariés d’Europe comme d’Amérique latine…
La forêt est enfin reconnue sur le plan gouvernemental avec l'intitulé "forêt" dans le Ministère de l'Agriculture et de la forêt! Depuis plus de 10 ans ce n'était plus le cas. Pourtant la forêt est essentielle à notre pays, le troisième d'Europe dans ce domaine. Pourtant c'est le deuxième poste déficitaire de notre balance commerciale derrière l'énergie dont le pétrole! Pour mobiliser le bois et le valoriser en France, il y a des marges de manoeuvre puisqu'environ la moitié de l'accroissement annuel seulement est prélevé. En forêt communale ou domaniale, la gestion planifiée par l'ONF aboutit à un prélévement optimal, c'est donc dans la forêt des particulier qu'il y a des opportunités.
Pourtant, l'ONF est aujourd'hui en danger : les gouvernements de droite l'ont laissée en bien mauvais état : un déficit et une dette énormes, des effectifs réduits et souvent démotivés (voir les vagues de suicides récents). J'ai la chance de siéger au comité consultatif de son conseil d'administration où je représente l'Assemblée des Départements de France : cet outil est une chance à préserver pour notre pays! Un contrat entre l'Etat, l'ONF et les communes forestières a été signé qui prévoit encore de nombreuses suppressions de postes, dont 77 en Lorraine.
Dans la forêt des particuliers qui est très morcelée en France, d'où la moindre collecte de bois, il y a le travail des coopératives qui regroupent des propriétaires pour une meilleure gestion. Dans notre région c'est "Forêt et Bois de l'est". Mais il y a également un manque de replantations qui, depuis la fin du fonds forestier national qui aidait les propriétaires, fait craindre le pire à long terme si la forêt ne se reconstitue pas. Pourtant l'attribution prochaine des fonds carbones (les "permis de polluer" en CO2, pour faire simple) devraient revenir en partie à la forêt qui contribue fortement à purifier notre air en absorbant le CO2. Ils pourraient servire à sa reconstitution par exemple.
Au-delà de cette échéance pour laquelle la profession doit faire des propositions, il y a le budget 2013 du ministère de l'Agriculture qui bien qu'en baisse, comme tous les Ministères sauf l'Education nationale préservée, a maintenu sa partie "forêt" avec la stabilité du versement compensateur à l'ONF, soit 185,5 millions d'euros! Il faudra trouver également d'autres pistes de financement pour pérenniser cet outil essentiel, à travers les services que la forêt rend par exemple à l'air (CO2 absorbé) et à l'eau (réserve).
Cet automne, le Ministre Stéphane LeFoll a lancé une vaste consultation de la filière forêt bois pour entendre tous les acteurs, établir les diagnostics et choisir une stratégie de développement. La Lorraine lancera cette initiative en novembre prochain avec des ateliers thématiques : production de bois, innovation/recherche, financements, formation, compétitivité, stratégies collectives...
Enfin, en 2013, une loi agricole et forestière verra le jour et pourra répondre aux attentes de la filière qui peut largement participer au redressement productif de la France. Déjà, le pays de la déodatie a engagé une Charte forestière de territoire qui établira un plan d'action pour dynamiser la filière sur notre secteur géographique. Bois construction, bois énergie, tourisme, biodiversité... autant de pistes qui montrent l'actualité du bois.
Les communes du pays de la Déodatie sont pratiquement toutes forestières et leur fédération départementale a tenu récemment son Assemblée générale à laquelle j'ai assisté en présence du président national Jean-Claude Monin que j'avais invité lors du lancement de notre Charte Forestière. Les contrats d'approvisionnement entre l'ONF ou les communes et les scieries vosgiennes permettent par exemple de soutenir le développement économique local en assurant aux entreprises un approvisionnement stable en quantité, qualité et prix.
Le pays travaille sur cette thématique, atout essentiel de notre territoire, également à travers un échange européen de territoires ruraux (Finlande, Suède, Luxembourg, France) à dominante forestière pour trouver des pistes communes de développement.
Je pense que la Forêt est au centre d'enjeux majeurs aujourd'hui et doit se trouver des stratégies locales et nationales.