Blog d'Étienne Pourcher
La démission de N. Hulot s'est produite sur fond de permis de chasse; même si cet épisode ressemble plus à la goutte d'eau qui a fait déborder le vase, les questions forestières et de la filière bois ont des dossiers chauds et urgents à traiter par le nouveau Ministre FDR.
Le développement de la filière bois, matériau biosourcé et source d’énergie renouvelable, nécessite des actions concrêtes; de même pour la forêt qui est pourtant également un puissant puit de carbone, allié précieux contre le dérèglement climatique, ainsi qu’un réservoir inégalé de biodiversité.
Un premier test sera celui de la déforestation importée : La volonté du Gouvernement de permettre la réalisation d’une usine d’huile de palme en Région PACA, dite « bioraffinerie de la Mède » (autorisation délivrée à Total le 16 mai dernier) représente de la déforestation importée – rappelons que la déforestation représente 10% des émissions mondiales de gaz à effet de serre -.
Second dossier, le permis d’exploiter – qui doit être délivré cet automne et constitue donc un des premiers actes politiques du nouveau Ministre - une mine d’or en Guyane, dit projet « Montagne d’Or »,ayant reçu le soutien d’E. Macron, fera disparaître 1500 hectares de forêts en plein cœur de l’Amazonie et utilisera une méthode d’extraction au cyanure extrêmement polluant menaçant ainsi la faune et la flore locale. Le récent débat public a montré les réticences locales voire les radicalisations; les compromis sur la dispersion des sites de stockage (pour partager les risques?) ou garanties de l'exploitant sur le traitement des boues scianurées, n'ont semble-t-il pas rassuré...
Le plan climat du Ministre Hulot en juillet 2017, devait pourtant s’appuyer sur le rôle des forêts : quelle action concrète depuis ? Le plan biodiversité devait également s’appuyer sur les espaces forestiers préservés : quelles suites, mise à part la confirmation de la création du Parc National des forêts de feuillus de Champagne – Bourgogne lancé il y a quelques années. Autant de pistes d'actions à l'aune desquelles le nouveau Ministre pourra être jugé.
La forêt publique a un rôle majeur à jouer, en particulier avec son gestionnaire, l’ONF, en partie sous tutelle du Ministère chargé de l’environnement et dont la situation financière devra être stabilisée. Là aussi un chantier d'envergure.
article paru sur le Huffington Post le 24/12/16 et que j'ai eu le plaisir de cosigner :
Lorsque vous allez vous réunir autour du sapin de noël avec vos enfants le 25 décembre, vous allez d'abord voir la joie de vos enfants. Vous oublierez ce sapin, chargé des guirlandes et lampions de la fête, ce sapin dont vous allez vous débarrasser bientôt.
Et pourtant, cet arbre est bien autre chose que cet instrument de félicité. Il est aussi l'ambassadeur à votre domicile d'une économie prometteuse, une économie qui loin d'être nostalgique est tournée vers l'avenir, vertueuse, bas carbone : celle de la filière forêt/bois.
Ce regard pousse à voir ce sapin différemment. Devant nous, est érigé un processus de captation et de stockage du carbone. Pour arriver dans votre salon, il aura participé d'un écosystème productif pendant 8 ans s'il s'agit d'un sapin de Nordmann, 5 ans s'il s'agit d'un épicéa. Ainsi votre sapin lutte contre le réchauffement climatique en ayant capté le carbone. 50% environ de son poids sec est du carbone. Si nous élargissons cette analyse à l'ensemble de la filière, c'est ce qui fait dire au GIEC qu'une sylviculture durable est essentielle à la lutte contre le réchauffement climatique. En France, nous comptons 16,1 M d'hectares de bois et forêts. A raison de 400 à 700 tonnes de CO2 absorbés à l'hectare, c'est 12% de la production de CO2 annuel de la France qui est ainsi écartée de l'atmosphère.
Et le cycle vertueux de ce sapin n'est pas terminé. Vous pouvez le recycler dans les points de collecte organisés à cet effet dans vos communes. Le sapin va pouvoir vivre d'autres vies.
Comme bois énergie d'abord, dûment transformé en copeaux ou en granulés, le sapin a une haute valeur énergétique; il pourra aussi être transformé dans une filière de biofioul autre utilisation au bilan carbone neutre. Mais ce n'est pas tout. Le bois nous permet désormais de rentrer dans la bioéconomie du futur poussant l'innovation dans cette filière industrielle et fixant les emplois dans les territoires ruraux.
La matière ligneuse qui le compose pourra ainsi servir à de multiples usages de haute technologie. Elle peut entrer dans la fabrication de filaments destinés aux imprimantes 3D, être retravaillée au point de permettre la composition de panneaux en bois translucides, grâce à la formidable innovation du jeune Français Timothée Boitouzet, servir au papier ou aux tissus de vos sacs de caisse qui remplacent ceux qui forment le continent de plastique en mer, de matériau isolant, ou encore servir plus prosaïquement de compost... autant d'usages vertueux capteurs de CO2, dépolluants, mais aussi facteurs de valeur ajoutée pour l'économie.
Devenu adulte, c'est à dire vers 50 ans, un sapin pourra produire le bois nécessaire à vos charpentes et à l'édification des bâtiments de grande hauteur en bois qui a fait l'objet d'une forte initiative du Gouvernement et de certaines villes comme Bordeaux ou Lyon. Il pourra même entrer dans la composition des éoliennes en bois, qui produiront l'énergie décarbonée de demain tout en stockant elles-mêmes du carbone.
Votre sapin est le symbole de cette forêt française qui recèle les richesses propices à l'économie de la transition écologique et énergétique de demain, de cette filière forêt bois encore en construction qui mérite l'attention de tous. Il y a ici 60 Mds € de chiffre d'affaire, 440 000 emplois et des perspectives de développement très importantes, dans l'énergie, la construction, la chimie verte, la pharmacie, l'aménagement et la gestion des forêts...
Ne soyez pas inquiets pour nos forêts. Au nom de l'environnement, vous avez pu hésiter à acheter un sapin de Noël naturel, on vous a peut-être même poussé à acheter des sapins en plastique fabriqués en Chine, hérésie environnementale absolue ! La réalité, c'est que la France a gagné plus de 6 millions d'hectares de forêt depuis un siècle ; que pour 100 m3 de croissance du bois, nous n'en exploitons actuellement que 50, laissant la forêt croître encore. La réalité est aussi que votre sapin a été cultivé spécialement comme arbre de Noël et que sa coupe ne porte aucun préjudice à la nature.
C'est une bonne nouvelle car cela signifie que la marge existe pour une l'économie circulaire de l'innovation environnementale à construire. Elle permettra de prendre soin des territoires de production et de transformation, d'inciter à l'innovation écologique mais aussi politique qui nous émancipera de l'économie mortifère du carbone.
Votre sapin est porteur de valeurs symboliques, écologiques et économiques que vous ne soupçonnez pas. C'est pourquoi il est le meilleur symbole de ce monde durable dont nous devons faire cadeau à nos enfants.
La forêt est enfin reconnue sur le plan gouvernemental avec l'intitulé "forêt" dans le Ministère de l'Agriculture et de la forêt! Depuis plus de 10 ans ce n'était plus le cas. Pourtant la forêt est essentielle à notre pays, le troisième d'Europe dans ce domaine. Pourtant c'est le deuxième poste déficitaire de notre balance commerciale derrière l'énergie dont le pétrole! Pour mobiliser le bois et le valoriser en France, il y a des marges de manoeuvre puisqu'environ la moitié de l'accroissement annuel seulement est prélevé. En forêt communale ou domaniale, la gestion planifiée par l'ONF aboutit à un prélévement optimal, c'est donc dans la forêt des particulier qu'il y a des opportunités.
Pourtant, l'ONF est aujourd'hui en danger : les gouvernements de droite l'ont laissée en bien mauvais état : un déficit et une dette énormes, des effectifs réduits et souvent démotivés (voir les vagues de suicides récents). J'ai la chance de siéger au comité consultatif de son conseil d'administration où je représente l'Assemblée des Départements de France : cet outil est une chance à préserver pour notre pays! Un contrat entre l'Etat, l'ONF et les communes forestières a été signé qui prévoit encore de nombreuses suppressions de postes, dont 77 en Lorraine.
Dans la forêt des particuliers qui est très morcelée en France, d'où la moindre collecte de bois, il y a le travail des coopératives qui regroupent des propriétaires pour une meilleure gestion. Dans notre région c'est "Forêt et Bois de l'est". Mais il y a également un manque de replantations qui, depuis la fin du fonds forestier national qui aidait les propriétaires, fait craindre le pire à long terme si la forêt ne se reconstitue pas. Pourtant l'attribution prochaine des fonds carbones (les "permis de polluer" en CO2, pour faire simple) devraient revenir en partie à la forêt qui contribue fortement à purifier notre air en absorbant le CO2. Ils pourraient servire à sa reconstitution par exemple.
Au-delà de cette échéance pour laquelle la profession doit faire des propositions, il y a le budget 2013 du ministère de l'Agriculture qui bien qu'en baisse, comme tous les Ministères sauf l'Education nationale préservée, a maintenu sa partie "forêt" avec la stabilité du versement compensateur à l'ONF, soit 185,5 millions d'euros! Il faudra trouver également d'autres pistes de financement pour pérenniser cet outil essentiel, à travers les services que la forêt rend par exemple à l'air (CO2 absorbé) et à l'eau (réserve).
Cet automne, le Ministre Stéphane LeFoll a lancé une vaste consultation de la filière forêt bois pour entendre tous les acteurs, établir les diagnostics et choisir une stratégie de développement. La Lorraine lancera cette initiative en novembre prochain avec des ateliers thématiques : production de bois, innovation/recherche, financements, formation, compétitivité, stratégies collectives...
Enfin, en 2013, une loi agricole et forestière verra le jour et pourra répondre aux attentes de la filière qui peut largement participer au redressement productif de la France. Déjà, le pays de la déodatie a engagé une Charte forestière de territoire qui établira un plan d'action pour dynamiser la filière sur notre secteur géographique. Bois construction, bois énergie, tourisme, biodiversité... autant de pistes qui montrent l'actualité du bois.
Les communes du pays de la Déodatie sont pratiquement toutes forestières et leur fédération départementale a tenu récemment son Assemblée générale à laquelle j'ai assisté en présence du président national Jean-Claude Monin que j'avais invité lors du lancement de notre Charte Forestière. Les contrats d'approvisionnement entre l'ONF ou les communes et les scieries vosgiennes permettent par exemple de soutenir le développement économique local en assurant aux entreprises un approvisionnement stable en quantité, qualité et prix.
Le pays travaille sur cette thématique, atout essentiel de notre territoire, également à travers un échange européen de territoires ruraux (Finlande, Suède, Luxembourg, France) à dominante forestière pour trouver des pistes communes de développement.
Je pense que la Forêt est au centre d'enjeux majeurs aujourd'hui et doit se trouver des stratégies locales et nationales.
Le syndicat Snupfen de l'ONF a investi, hier, le siège de l'Office, afin d'attirer l'attention des pouvoirs publics sur les réformes en cours. Ainsi, le contrat 2012 – 2016 entre l’Etat, l’ONF et, pour la première fois la FNCOFOR (Fédération des Communes Forestières) prévoit notamment de nombreuses suppressions de postes, dont 77 pour la seule Région Lorraine.
Alors que plusieurs suicides au sein de l’ONF auraient dû alerter les pouvoirs publics sur le malaise sans précédent des personnels de l’ONF, 700 nouvelles suppressions de postes sont prévues par ce contrat. Je tiens à apporter mon soutien aux personnels de l’ONF, qui subissent une dégradation croissante de leurs conditions de travail. Si les communes forestières ont pris leurs responsabilités en apportant une contribution financière nouvelle (taxe à l'hectare), l'Etat doit également s'engager et ne pas en rester à la politique aveugle de la suppression d'un poste sur deux; en effet, outre ses missions de gestion des forêts publiques, dans le cadre du régime forestier qu'il faut conserver dans une période où il a été remis en cause de façon récurente par de nombreux rapports commandés par le gouvernement, les agents de l'ONF ont également des missions publiques, notamment environnementales, qu'il faut financer, par exemple à travers la valorisation des aménités de la forêt (effet bénéfique sur la qualité de l'air, le CO2, l'eau et les sols...)
Plus généralement, je déplore le manque d’ambition de la majorité actuelle en faveur de la forêt alors que notre pays a besoin d'une réelle politique industrielle pour la filière bois, qui accuse le 2è déficit de notre commerce extérieur (après l'énergie), alors que la France dispose de la 3è forêt européenne!